Entretien avec Nathalie Gartiser, formatrice PSSM et directrice du Centre Gaston Berger à l'INSA Strasbourg.
Les 8 et 9 décembre 2025, l’INSA Strasbourg organise une session de formation ouverte aux professionnels : PSSM – Premiers Secours en Santé Mentale. Nous avons rencontré Nathalie Gartiser, maîtresse de conférences et directrice du Centre Gaston Berger, qui anime cette formation.
Pour elle, il s’agit bien plus que d’un apport de connaissances : c’est une transformation de posture.
Pourquoi proposer aujourd’hui cette formation aux professionnels, en entreprise ou en association ?
Nathalie Gartiser : Parce que le monde du travail est fait de relations sociales, entre des êtres humains. Que ce soit dans une entreprise, une administration ou une association, ce sont des groupes humains avant d’être des structures organisées. Et chacun arrive avec son histoire personnelle, ses forces, mais aussi parfois ses fragilités.
On aime croire qu’il existe une frontière nette entre vie privée et vie professionnelle, mais ce n’est qu’une illusion. Les personnes portent avec elles ce qu’elles vivent à l’extérieur du travail, et cela peut impacter leur quotidien professionnel. La formation PSSM aide à entrer en relation avec une personne qui ne va pas bien, sans maladresse, sans intrusion, mais avec écoute, respect et sécurité.
Cette posture, on la retrouve aussi dans le milieu associatif ?
Oui, même si la nature de l’engagement est différente, on y retrouve les mêmes dynamiques humaines. Dans les deux cas, on agit dans le cadre d’un projet commun, et on embarque avec soi sa personnalité, ses émotions, ses difficultés.
Ce qui change, c’est le rapport au cadre légal. Dans un contexte professionnel, on a souvent des réflexes de prudence, des doutes : Ai-je le droit de poser cette question ? Suis-je légitime à intervenir ?
La formation aide justement à se positionner sans crainte. On apprend à adopter une posture juste, à prendre des précautions oratoires, à respecter les limites, tout en étant présent et attentif.
Quelles situations concrètes peut-on apprendre à gérer pendant la formation ?
Il y en a beaucoup.
Ça peut être ce collègue qui répond toujours “bof” ou qui élude la question quand on lui demande si ça va. Intuitivement, on sent qu’il y a quelque chose… mais on ne sait pas comment passer ce premier cap, comment ouvrir le dialogue.
La formation apprend à détecter ces signaux faibles, à ne pas les minimiser, à reconnaître les situations où le mal-être s’installe : quand ça dure, quand c’est intense, quand ça impacte le quotidien.
Elle nous aide aussi à mettre des mots sur ce que peuvent vivre les autres : une dépression, ce n’est pas juste un coup de fatigue. Un trouble psychique, ce n’est pas une faiblesse de caractère. Et ça, beaucoup de gens le découvrent pendant la formation.
Est-ce que cette formation change durablement les comportements ?
Oui, très clairement.
Un participant m’a dit : « Je parle différemment aux gens, même à la maison. » C’est une des phrases qui revient souvent.
On devient plus attentif, plus disponible. On n’a plus peur d’entrer en relation avec une personne en difficulté, parce qu’on se sent outillé, on a une boîte à outils mentale, des phrases, des repères, une posture. Et ce n’est pas juste dans la posture d’aidant : on comprend aussi mieux quand poser une limite, quand rester à sa place de secouriste. C’est une distinction très importante.
Vous parlez de « secouriste », en quoi est-ce différent d’un aidant ?
La formation fait bien la différence. Le secouriste n’est ni médecin, ni thérapeute. Il n’est pas là pour poser un diagnostic ni pour prendre en charge une situation sur le long terme. Il est là pour intervenir en première ligne, reconnaître les signes, engager un échange, et orienter la personne si nécessaire.
Beaucoup de stagiaires viennent justement avec une expérience d’aidant – dans leur famille ou auprès de collègues. Ils réalisent grâce à la formation qu’ils peuvent choisir leur posture, se protéger, et agir de manière plus consciente et plus juste.
Avez-vous un souvenir marquant d’une session passée ?
Il y a ces moments très forts où des personnes concernées par des troubles – ou proches de personnes concernées – prennent la parole pendant la formation. Des parents, par exemple, qui découvrent qu’ils peuvent mieux accompagner un enfant porteur de troubles tout en préservant leur équilibre. Il y a aussi beaucoup de retours autour de la découverte de la dépression. C’est le trouble qui chamboule le plus de représentations.
Et souvent, après la formation, des personnes me disent : « J’ai osé faire un pas vers quelqu’un qui n’allait pas bien. J’ai su quoi dire, comment le dire. »
C’est ça, le cœur de cette formation : oser, sans s’improviser thérapeute, mais en étant là.
Comment se déroulent les deux jours de formation ?
Il y a une partie théorique, avec des repères sur les troubles, leur fréquence, leur impact, leur durée. Et une partie pratique, avec des cas concrets, des études de situations, des vidéos de témoignages.
Les participants sont amenés à analyser, à simuler des échanges, à repérer les bonnes postures. Tout l’enjeu, c’est que le protocole PSSM devienne intuitif, qu’on ne parte pas de zéro quand on veut aider quelqu’un.
On ne donne pas une méthode figée, mais on construit une réflexion concrète et opérationnelle.
Que diriez-vous à quelqu’un qui hésite à s’inscrire ?
Je dirais : regardez les chiffres. Un tiers des personnes que vous côtoyez cette année vivront un trouble de santé mentale. Et c’est inacceptable qu’il faille parfois jusqu’à 10 ans pour qu’un trouble soit détecté et pris en charge.
Alors oui, cette formation peut sembler éloignée de vos missions, mais en réalité, elle concerne tout le monde. Parce que vous serez confronté un jour ou l’autre à cette réalité – dans votre travail ou dans votre entourage. Et vous aurez peut-être le pouvoir, grâce à cette formation, de réduire ce délai, de briser la stigmatisation, et d’aider quelqu’un à trouver un chemin vers la prise en charge.
Ce que cette formation change, c’est le regard : elle redonne des clés pour comprendre l’autre. C’est ce qui permet de mieux vivre et travailler ensemble, sans jugement.
Et vous, comment en êtes-vous venue à devenir formatrice ?
Je suis d’abord venue en tant que secouriste, parce que dans mes fonctions au Centre Gaston Berger, j’accueille des élèves en difficulté. Je ne me sentais pas assez outillée.
La formation m’a bouleversée. J’en ai parlé à tout le monde autour de moi. Et je me suis dit : « Il faut qu’on puisse proposer ça à l’INSA, à nos collègues, à nos élèves, à nos partenaires. »
Parce qu’au fond, former des professionnels à ces questions, c’est aussi préparer un environnement de travail plus humain et plus à l’écoute pour les générations qui arrivent. Et plus on sera nombreux à être sensibilisés, plus ce sera facile de vivre et de travailler ensemble.
À noter
La prochaine session de formation PSSM interentreprises aura lieu les 8 et 9 décembre 2025 à l’INSA Strasbourg.
Elle est ouverte à tous les professionnels, sans prérequis.
Infos pratiques et inscription : Centre de formation continue de l’INSA Strasbourg